jeudi soir, trop tard dans la nuit je fais plein de discours dans ma tête, je suis à la veille
sociale et je prends la parole à propos du logiciel siao et du protocol idiot, que j'ai la chance
à mon poste de ne pas être embarrassée de ces questions logistiques organisationnelle
mais que j'en vois les effets dans la rue et dans les centres d'hébergement d'urgence, qu'on
parle de la fluidité qui manque dans les dispositifs et que ce n'est pas seulement l'ouverture
de places en plus sur le territoire qui changera la donne
je prends la parole aussi pour parler de mlle catherine et que le lien social est soignant
même s'il prend du temps parfois, qu'il est moins simple et efficace qu'une hospitalisation
sous contrainte mais tellement moins violent (et que nous avons un exemple récent), et
j'apparais un peu distant comme en observation, comme si j'avais encore une place quelque
part pour un doute, alors que les nuits me réveillent toujours parce qu'elles sont enrobées
de silence et de pensées. je recopie des phrases par facilité, aussi pour deviner des
sensations, pour ne pas dire à voix haute n'importe quoi et me laisser traîner par les paroles
creuses du matin
et qu'il sera rare dans mes propos d'entendre un jour une préconisation pro-psychiatrie,
surtout pour "notre public", vos exclus, les pauvres, ceux qui cherchent un autre asile que
celui qu'on leur propose,
même si le manque de sommeil écrit parfois des traits sur le visage, j'aime beaucoup
regarder la lune et éclairer un livre avec une lampe de poche en essayant d'être très discret,
un fantôme, concentré sur rien du tout que les tourbillons d'idées, et les pensées lointaines
amoncelées
et je vais d'une à l'autre sans rien oser dire d'indélicat
un asile qui n'existe quasiment plus
je prends la parole dans le bureau de mon chef de service pour lui donner des conseils
véhéments, qu'il n'a pas à courber son échine face au diacre directeur de l’association d’en
face détenteur et maître du logiciel siao,
j'insère du politique dans les errances de mes fantasmes, au hasard
de la place pour le rêve et l'ennui
et souvent je m’endors au son de la sirène des pompiers qui doivent franchir chaque soir
toujours ce même feu rouge avant de rouler à toute vitesse au travers du noir
et qui semble vouloir nous transformer en agent du 115, fliqueur et traceur des sdf ; que s’il
doit faire ses preuves en tant que nouveau chef de service, qu’il le fasse auprès de nous
et non dans des partenariats non éthiques, et que j’espère pouvoir le compter comme un allié
dans le futur et non comme une nouvelle entité à combattre
un asile qui n'existe quasiment plus